Contribution au rapport des Nations Unis sur les droits de l’enfant et les ODD
Reprise durable e…
Compte tenu de l’âge des filles, on ne peut pas parler de libre-arbitre, peut-on parler de conditionnement et d’endoctrinement par le prédicateur? Que dit la loi à ce sujet ?
C’est vraiment symptomatique et franchement désolant, plus de vingt ans après l’adoption de la Convention internationale des droits de l’enfant (20 novembre 1989) et son incorporation dans le droit tunisien à la faveur, notamment, du Code de protection de l’enfant (9 novembre 1995)! d’être acculés à se poser ce genre de questions. A la réflexion pourtant, les faits liés aux agissements du prédicateur koweïtien devraient nous interpeller en vue d’un questionnement porteur, à ce stade de l’évolution de la société tunisienne, sur une des valeurs essentielles qui transcende tous les principes et droits reconnus tant par la Convention internationale des droits de l’enfant que par le droit tunisien: la dignité de l’enfant.
Tout enfant est, en effet, un être humain unique et précieux et, à ce titre, sa dignité individuelle, son intérêt supérieur et sa vie privée doivent être respectés et protégés. L’objectif est important car il rappelle, en ce moment où les Tunisiens sont engagés sur la voie leur permettant de redéfinir ensemble, dans la nouvelle constitution qui tarde à voir le jour, les valeurs et principes qui les unissent, que le respect des droits de l’Homme commence par la manière dont une société traite les enfants ! Une société qui se soucie des enfants — qui constituent le tiers de la population tunisienne — leur offrira la liberté et la dignité, en créant des conditions qui leur permettent de développer toutes leurs potentialités et d’être prêts à mener une vie d’adulte pleine et satisfaisante.
Mais s’ils constituent, sans nul doute, une déclinaison des droits de l’Homme adaptée à l’enfant, les droits de l’enfant sont cependant plus larges: l’impératif de protection de l’enfant requiert l’intervention de dispositifs spécifiques que les droits de l’homme ne connaissent pas. Car, avant d’être une personne dans la cité, l’enfant a besoin, pour grandir, d’être entouré d’adultes. Convient-il alors, pour répondre directement à votre question, de rappeler en substance le principe selon lequel tout enfant, en raison de sa faiblesse physique et morale, est nécessairement titulaire d’une créance de protection à l’égard de la société tout entière, y compris sa protection contre toute forme d’embrigadement idéologique ou religieux!
Les parents sont-ils seuls responsables vis-à-vis de leurs enfants? L’Etat n’a-t-il pas le devoir d’intervenir lorsqu’un enfant est considéré comme soumis à une influence néfaste ou en danger ?
Le rôle de la famille et des parents est sans doute primordial. Si l’enfant est la raison d’être de la loi, il est avant tout au cœur de la vie de ses parents. Il est le fruit d’un père et d’une mère qui, du fait de la naissance de l’enfant, auront scellé un engagement, celui d’être parents, c’est-à-dire porteurs d’obligations envers un être inachevé, en totale dépendance des adultes. Aussi, la Convention internationale des droits de l’enfant invite-t-elle, dans son préambule et dans plusieurs de ses dispositions, à renforcer la famille, «unité fondamentale de la société et milieu naturel pour la croissance et le bien-être de tous ses membres, et en particulier les enfants» et à lui «apporter toute la protection et l’assistance dont elle a besoin pour pouvoir jouer pleinement son rôle dans la communauté».
Mais le rôle primordial de la famille et des parents ne saurait faire oublier le rôle de l’État qui, par sa loi, fournit le cadre juridique approprié et, par ses services administratifs, sociaux et judiciaires, apporte son assistance aux premiers responsables de l’enfant que sont les parents en les aidant à mieux comprendre et assumer leurs responsabilités et, le cas échéant, en cas de carence grave, en ordonnant une intervention appropriée.
C’est tout le sens des mesures et mécanismes mis en place dans le Code de protection de l’enfant, y compris notamment le devoir de signalement incombant à toute personne, y compris celle qui est soumise au secret professionnel, ainsi tenue «...de signaler au délégué à la protection de l’enfance tout ce qui est de nature à constituer une menace à la santé de l’enfant, ou à son intégrité physique ou morale...» (Article 31 du CPE). Le même article ajoute que «le délégué à la protection de l’enfance est obligatoirement avisé de toutes les situations difficiles prévues par l’article 20 du présent code si la personne qui s’est aperçue de l’existence de cette situation fait partie des personnes chargées, de par leurs fonctions, de la protection et de l’assistance des enfants, tels que les éducateurs, les médecins, travailleurs sociaux et toutes autres personnes chargées à titre particulier de la prévention et de la protection de l’enfant contre tout ce qui est de nature à menacer sa santé et son intégrité physique et morale».
Que disent le code de l’enfant et la loi tunisienne concernant la thématique de l’endoctrinement et les sujets associés?
L’embrigadement religieux peut, à ce titre, être qualifié comme une forme de violence ou d’atteinte «psychique» à l’enfant au sens de l’article 2 du Code de protection de l’enfant qui dispose: «Ce code garantit à l’enfant le droit de bénéficier des différentes mesures préventives à caractère social, éducatif, sanitaire et des autres dispositions et procédures visant à le protéger de toute forme de violence, ou préjudice, ou atteinte physique ou psychique, ou sexuelle ou d’abandon, ou de négligence qui engendrent le mauvais traitement ou l’exploitation».
Faut-il également rappeler les dispositions de l’article 6 du même code aux termes desquelles : «Chaque enfant a droit au respect de sa vie privée, tout en considérant les droits et les responsabilités de ses parents ou de ceux qui en ont la charge, conformément la loi».
L’article 19 dispose pour sa part : «Il est interdit d’exploiter l’enfant ..., y compris le fait de lui inculquer, le fanatisme et la haine ...».
Enfin, convient-il de rappeler tout particulièrement que les «situations difficiles» qui impliquent l’intervention obligatoire des mécanismes sociaux et judiciaires de protection, dont le délégué à la protection de l’enfance et le juge de la famille, sont définies de façon indicative et non point restrictive. L’article 20 du Code de protection de l’enfant le rappelle en disposant que «sont considérés, en particulier, comme des situations difficiles menaçant la santé de l’enfant ou son intégrité physique ou morale...». Dès lors, même si l’embrigadement religieux n’est pas citée expressément dans la liste des cas visés à l’article 20 précité, il n’en constitue pas moins un cas menaçant «... la santé de l’enfant ou son intégrité physique ou morale», ce qui commande l’intervention des mécanismes de protection sociaux et judiciaires.
L’Etat ne peut, dès lors, se soustraire à son devoir de protéger les enfants contre toutes les formes de violence, y compris ces formes d’embrigadement religieux, en remettant tout aux soins des parents, spécialement lorsque ces derniers sont eux-mêmes démunis ou inconscients de leurs devoirs envers leurs enfants et d’empêcher vigoureusement les enfants, spécialement les plus petits et les plus vulnérables d’entre eux, ne soient la cible de ces prédicateurs et autres Nostradamus contemporains qui devraient comprendre que la Tunisie n’est pas, et ne sera jamais, le marché libre d’une marchandise quelconque !
Aussi devons-nous unir nos efforts pour que les enfants soient les premiers à bénéficier de l’aire de liberté et de respect des droits de l’Homme, une aire qui devrait profiter à la société tout entière. C’est à ce titre que les enfants pourront véritablement inscrire la révolution dans leur confiance !