Contribution au rapport des Nations Unis sur les droits de l’enfant et les ODD
Reprise durable e…
Contribution au rapport des Nations Unis sur les droits de l’enfant et les ODD
« Reprise durable et robuste de la pandémie COVID-19 »
La Tunisie traverse une période particulièrement difficile. Depuis la révolution et l’adoption de la nouvelle constitution en janvier 2014, la période transitionnelle se prolonge jusqu’à nos jours et les institutions constitutionnelles n’ont pas été parachevées. Il s’agit de la cours constitutionnelle mais surtout de l’instance constitutionnelle des droits des générations futures et de l’environnement ! Cette dernière n’a même pas fait l’objet d’un débat public ou de concertation avec la société civile. On attend toujours l’instance indépendante des droits de l’homme. L’instabilité politique, la crise sociale, la crise économique qui lui a succédé ont fait que la problématique « enfants » n’est pas considérée prioritaire par les partis politiques et les ONG dominant le paysage de la société civile. Le meilleur témoignage est l’absence de projets et de débats lors de toutes les échéances électorales présidentielles, législatives ou même locales municipales sur la problématique « enfants ».
Tous les indicateurs d’accès aux droits des enfants ont connu une dégradation
L’avènement de la crise sanitaire qui épargne les enfants a achevé de faire de cette catégorie de citoyens en devenir des laissés pour compte! Les préoccupations étant essentiellement sanitaires, sociales et économiques les mesures prises par le gouvernement ont écarté la préoccupation enfant pour se concentrer sur le côté sanitaire et le sauvetage économique d’un pays au bord de la banqueroute.
La Pauvreté :
Avant la crise COVID-19, la pauvreté générale était estimée à 19%, celle des enfants avoisinait les 20%, plus accentuée dans les régions du centre ouest et du nord-ouest elle touche 50% des enfants ruraux de ces régions (MICS 6). Apres la crise COVID-19 et les mesures de confinements puis celles qui ont suivie, le taux de pauvreté général a grimpé à 25% (INS) avec quasiment la même répartition géographique. Celle des enfants, vivant en dessous du seuil de pauvreté, atteint les 60% dans certaines régions.
Ce qui se confirme avec les mêmes répartitions géographiques, c’est le cumul des privations de ces populations d’enfants marginalisés : Difficultés d’accès à la santé, à une éducation de qualité équitable, aux loisirs mais surtout une protection contre la violence et tout type d’exploitation.
La faim :
La Liste des familles nécessiteuse n’a jamais été révisée ainsi que les critères d’inclusion. La crise COVID-19 a révélé ces insuffisances. De plus toutes les personnes ayant des emplois précaires dans l’économie parallèle estimée à près de 50% de l’économie, se sont retrouvées sans ressources et sans aucune couverture sociale. Les mesures prises par le gouvernement consistant en une aide de 200dt lors du confinement général n’a pas toujours ciblé les ayants droits puisque ne se basant sur aucune donnée officielle. Les mesures n’ont pas toujours été justes et inclusives.
En fermant les écoles à travers lesquelles les enfants pauvres recevaient un repas équilibré par jour, cette prestation de service a été interrompue sans être relayée par d’autres dispositions. Après la levée du confinement le maintien de la fermeture des institutions éducatives ont été maintenu jusqu’à la fin de l’année scolaire. La rentrée 2020-2021 s’est organisée en un temps scolaire alterné. Ce rythme d’un jour sur deux prive les enfants pauvres du repas quotidien !
La pauvreté et les perturbations des prestations sociales fournies à travers le système éducatif sans une stratégie de rattrapage, touche les enfants les plus vulnérables. Cette crise n’a pas été une opportunité pour réviser la stratégie et développer des mécanismes plus adaptés à la situation engendrée par la crise !
Santé et bien-être :
La crise sanitaire COVID-19 épargnant les enfants en a fait des laissés pour compte.
Sur le plan préventif, l’interruption scolaire a privé près de 60% des enfants des vaccinations, après la levée du confinement, des rendez-vous de rattrapage ont bien été mis en place par la direction de médecine scolaire. Cependant, les difficultés de déplacements inhérentes aux mesures restrictives en corrélation avec la pandémie et le manque d’informations n’ont pas permis de couvrir tous les enfants. Certes des directives ont été données aux centres de soins de santé de base de vacciner tous les enfants restants, mais la traçabilité n’est pas assurée sur les dossiers de médecine scolaire des enfants.
Tout le potentiel de santé était orienté vers la lutte contre la pandémie au point qu’il y a eu une interruption des soins habituels, une quasi paralysie des consultations externes aussi-bien dans le secteur publique que privé. Les difficultés de déplacements ont même causé une baisse significative des consultations aux urgences.
L’interruption de certains services publics comme la distribution d’eau potable dans les villages qui en sont dépourvus s’est interrompue. Il en est résulté l’apparition de maladies liées à l’eau avec deux foyers de fièvre typhoïde dans le sud et le sud-est du pays.
Le plus affectée a été la santé mentale des enfants. Durant toute la crise sanitaire, les responsables n’ont pas adopté une communication accessible aux enfants pour expliquer ce qui se passe et les raisons des mesures prises. Les enfants ont tout subit sans qu’aucune justification officielle ne leur soit parvenue. Le stress social, familial, la perte de contact avec l’école, les amis, la famille élargie et surtout les grands parents les a affectés d’autant que le confinement les a privés dans leur grande majorité de toute activité de loisir. Les inégalités sont d’autant plus flagrantes dans les milieux défavorisés avec une acuité plus importante pour les enfants porteurs d’handicap dont toutes les prestations ont été interrompues.
Education :
Lors de la première vague COVID 19, le confinement général ayant été décrété, toutes les institutions éducatives ont été fermées. Avec le déconfinement et malgré une situation sanitaire tout à fait rassurante, les mesures prise par le ministère de l’éducation ont été toute discriminante. Le retour à l’école a été permis uniquement pour les élèves du BAC. La tentative d’enseignement à distance s’est heurtée à l’absence de cadre juridique, l’inexistence de supports pédagogique et d’éducateurs formés mis surtout aux inégalités flagrantes d’accès des enfants à l’outil informatique. L’interruption des apprentissages des enfants se poursuivra jusqu’à la rentrée du 15 septembre. Malgré la mise en place de procédures de protections autorisant une rentrée normale validée par le comité national COVID 19 et le gouvernement sortant ( signature du protocole par 6 ministère), le nouveau gouvernement en place décide une rentrée en alternance, par groupe pour tous les niveaux scolaires de la préparatoire à la classe terminale des lycées ainsi que les centres de formation professionnelles. Aucune mesure d’accompagnement n’a été prévue. Toutes les autres institutions prenant en charge les enfants (culture, sports, loisirs) sont restées fermées. Cette mesure entrave l’accès à une éducation de qualité, ne permet pas un rattrapage des notions non acquises l’année passée, surtout pour les petites classe et ne convient pas à la continuité de la progression pédagogique. Encore une fois les mesures prises par le ministère sont discriminatives et remettent en question l’équité et l’accessibilité pour tous les enfants à une éducation de qualité. Encore une fois les plus vulnérable seront en difficultés voire en échec et le nombre d’abandon scolaire va croitre ! Toutes ces mesures ont concerné le secteur public, le secteur privé a par contre assuré une rentrée normale avec un enseignement quotidien avec les mesures de protections conformes aux directives de la commission nationale COVID 19. Cette situation d’un enseignement à deux vitesses toléré par l’état démontre si besoin est l’injustice dont sont victimes les enfants vulnérables et démontre l’absence de vision des gouvernants pour assurer équité et accessibilité pour tous les enfants.
La progression de la pandémie a imposé d nouvelles mesures sanitaires et encore une fois la décision est prise de fermer les écoles durant 15 jours sans aucun argumentaire épidémiologique mais appuyé par une communication troquée laissant planer le doute sur la dangerosité de l’épidémie pour les enfants semant la peur et l’angoisse parmi les parents, les enseignants et les enfants eux même au point que certains parents ont tout simplement retiré leurs enfants des écoles.
Protection :
Le souci essentiel est la violence. Le confinement a paralysé l’outil de signalement. Le rapport du délégué général à la protection de l’enfance est inquiétant. En temps normal près de 80% des signalements se font en présentiel aux bureaux des délégués régionaux(DPE). Ceci démontre l’absence d’implication de l’état pour développer ce mécanisme (malgré l’obligation de le faire tel que l’impose le code de protection de l’enfance promulgué depuis 1995) et prive les enfants du mécanisme essentiel pour faire parvenir leur propre voix. Les difficultés de déplacement ont fait chuter les signalements de 60%. Dans une situation pourvoyeuse d’avantage de violence par le confinement, le stress social, professionnel et économique les enfants se sont retrouvés seul face à leur agresseur dans des espaces clos. Les DPE, dans une première phase du confinement ont été aussi concerné par l’interruption du travail puis dans un deuxième temps autorisés à travailler en présentiel.
Si les mesures sanitaires ont été bien appliquées pour protéger les enfants en lieu de détention, il n’y a pas eu par contre et conformément aux recommandations, de libérations ou de réduction de peines des enfants.
Tous les centres prenant en charge des enfants menacés, en interruption scolaire, les handicapés ont fermé durablement pendant les périodes de confinement sans qu’aucune alternative soit mise en place pour soutenir les enfants ou les familles. Un nombre restreint d’enfants a été pris en charge dans un seul centre de protection dépendant du ministère de la femme de la famille des enfants et des personnes âgées durant la première vague.
L’instabilité politique est devenue chronique, La crise sanitaire s’aggravant, la crise économique devenant critique, les droits des enfants ne sont plus considérés comme une priorité. Le chef du gouvernement a enlevé la préoccupation « enfant » du ministère de tutelle classique. C’est ainsi que dans une transversalité prétendue, les enfants perdent le point focal gouvernemental classique pour les protéger. La société civile aussi n’a plus de vis-à-vis institutionnel pour être un interlocuteur privilégié pour la question »enfant ».
Devant l’augmentation régulière des enfants signalés au DPE, l’accès à la justice pose encore des problèmes. On enregistre avec satisfaction l’existence d’une police formée à l’écoute des enfants et femmes victimes de violence dans chaque gouvernorat. Cela améliore la qualité de la prise en charge initiale des enfants victimes de violences. Un autre acquis, le centre INJED, qui rassemble autour des médecins légistes, psychologue, assistance sociale et laboratoire de prélèvement permettant une meilleure prise en charge des victimes. Il manque une représentation des ministères de l’intérieur et de la justice pour constituer un dossier complet pour la victime sans avoir à se déplacer ou à répéter un nombre incalculable de fois le récit de son agression.
Ces mécanismes sont amputés de l’évolution du cadre juridique. En effet, le CPE ne définit pas le statut de l’enfant victime et reste un outil a effet préventif d’une part et d’autre part l’exercice de la justice juvénile reste marqué par une impunité inhérente à une interprétation des lois avec un référentiel culturel et religieux qui ne consacre pas l’enfant comme un être détendeur de droit mais en fait un citoyen de second ordre et laisse souvent la famille comme une priorité un référentiel à préserver en priorité. Les mécanismes légaux sont très peu mis avant pour trouver des alternatives à la privation de la liberté des enfants en conflit avec la loi et même statistiquement en régression. Enfin la mise en œuvre des loi souffre d’un manque de formation et de motivations des juges qui continuent à avoir recours au code pénal plutôt que d’avoir recours à des lois plus adaptées à spécificité des violences dont sont victimes les enfants (comme la loi contre la traite).
On constate par ailleurs des interprétations très larges des textes en rapport avec des convictions religieuses autorisant par exemple des mariages précoce d’un nombre alarmant de petites filles (mais pas très élevé heureusement) en ayant recours à l’interprétation de l’intérêt supérieur de l’enfant ! L’exception autorise des dérives qui peuvent devenir inquiétantes.
Le travail des enfants est aussi en recrudescence. La Tunisie a le mérite d’avoir procédé à une enquête nationale dans ce sens qui a permis de chiffrer la réalité du problème. Seulement depuis il n’y a pas eu de volonté politique pour mettre en place une stratégie multisectorielle pour y faire face. La principale menace identifiée étant l’abandon scolaire, des tentatives sont entreprises pour y remédier mais vu les difficultés du secteur éducatif on ne peut pas encore parler d’une avancée dans ce sens. Le projet « L’école récupère ses enfants » annoncé en grandes pompes n’a pas donné de résultats probants et le ministère de l’éducation ne communique plus sur le sujet. Le projet actuel de « L’école de la deuxième chance » piétine et tarde à voir le jjour malgré de multiples annonces. La crise sanitaire aggrave la situation avec l’interruption prolongée des apprentissages et les solutions discriminantes et partielles que l’état met en place.
Les inégalités :
Les dernières statistiques publiées par l’INS sur la pauvreté, montre la persistance des mêmes inégalités régionales avec une accentuation des différences et les mêmes inégalité dans chaque région entre des quartiers privilégiés et des zones urbaines à fortes concentration humaines mais dépourvues de services publiques de qualité.
Conclusion :
Entre l’intérêt porté à l’enfant et l’intérêt supérieur de l’enfant il y a toutes les hésitations d’une société en mutation. Une confusion entre démocratisation et islamisation, entre participation, inclusion et exclusion qui prolongent une phase transitionnelle générant une instabilité politique. A la crise sociale a succédé une crise économique aggravée par la crise sanitaire. Le secteur de l’enfance est un secteur dont les enjeux stratégiques ne font pas l’objet d’un consensus sociétal, connais un marasme évident avec une détérioration de tous les indicateurs mettant en péril les acquis de notre jeune démocratie.